L'Œuf au Plat

culinaire

Au départ était l’œuf. Mi cuit dans son blanc, mi cru dans son jaune. Au plat donc : un moule en silicone, matière insensible aux rayonnements électromagnétiques de l’induction. A l’intérieur de celui-ci, des cercles métalliques noyés dans la masse réceptifs, eux, aux courants d’induction. Dans une parfaite géométrie copernicienne, le blanc et le jaune sont délimités par des spaghettis de poivrons verts/rouges/ jaunes. Le plat est entièrement préparé à froid, puis posé sur la plaque à 100°. L’induction ne cuisant que sur le métal, l’œuf cuit, le poivron (sur silicone) demeure froid, cru !

L’œuf à la basquaise revu, dans sa recette originelle, et corrigé, par la technique, pour rappeler, en un clin d’œil à Ferran Adria et son œuf d’asperge, que celle-ci « n’est pas contraire au sens de l’humour ! ». L’œuf sort de sa géométrie pour en recréer une autre. Œuf trompe l’œil de simplicité qui par une technicité dissimulée en devient un plat aussi complexe que la question de la poule ou de l’œuf. Magie révélée de l’induction qui chauffe mais reste froide, produit cru et cuit en simultané... L’œuf au Plat sonde le gustatif, le visuel et le sensoriel. Et confond la sémantique. Le « plat » n’est qu’un tout, homonyme de montage, de cuisson, de service, de l’intitulé... Trop plat pour accéder aux grandes tables, trop coque pour être envisagé, trop cocotte pour être considéré, ce pilier d’arrière cuisine retrouve en salle une vraie raison d’être. Le designer a réinventé les attributs, redistribué les couleurs et repensé la poule.

Projets issus de l'exposition Tool's Food - Paris, 2007


David Zuddas

Recettes élaborées en collaboration

Pur produit preneleï, David Zuddas a fait grandir sa cuisine en Bourgogne. Prenois l’a adopté après Jean-Paul Jeunet et les frères Pourcel. Depuis, pas une année sans qu’il s’immerge au Japon, décortique une cuisine minutieuse, pulvérise tout en poudre et remette à plat tous ses acquis.

« Une assiette de cuisson sur induction avec des zones qui chauffent et d’autres qui chauffent pas... Je voulais faire du cru/cuit avec des spaghettis de poivrons, collés à la carreghénane, qui tempèrent gentiment. L’oeuf basquaise, une gourmandise un peu canaille, c’est tout couillon mais tellement bon. Ce plat revient à imaginer une approche simple et rigolote de la cuisine. Il aide à comprendre le fonctionnement de la cuisson et à montrer que la cuisine c’est tout sauf barbant. Cette assiette reste ludique sans pour autant partir dans des délires abscons. Elle suggère aussi la possibilité d’intégrer totalement l’ustensile de cuisson en provoquant réaction, sensation et interpellation. »


Tool's Food

Paris 2007

Je n'ai jamais été à l'aise avec les étiquettes ; le design culinaire c'est d'abord du design ! Une approche qui vise à décloisonner les savoirs et les savoir-faire, à tisser librement des rapprochements pour permettre des propositions pertinentes, c'est à dire sensées et singulières.

Car c'est bien de singularité dont il s'agit. A chacune de ses interventions, Ferran Adria cite volontiers son aîné Jacques Maximin : "créer n'est pas copier ". Et tous les chefs que j'ai pu rencontrer s'échinent, en tout cas le disent-ils, à exprimer leur personnalité, et donc leur différence, dans nos assiettes. Le design est là pour ça, le design sert à ça, on pourrait même dire qu'il a été inventé pour ça !

Le départ est donné en 1997 sur fond d’histoire d'amitié. Une rencontre d’enfance à Nancy avec Stéphane Marchal, devenu depuis pâtissier, pour qui j’ai dessiné l’architecture intérieure d'un premier magasin. De là, est née l’ envie de dépasser sa demande initiale en lui suggérant une approche plus globale, non seulement de son entreprise, de sa communication graphique, des vitrines mais aussi, un travail sur les produits eux-mêmes. De par son ouverture d'esprit, Stéphane Marchal a accepté le jeu d'emblée. Ainsi, et ce pendant dix ans, j'ai eu la chance de pouvoir tester mes idées in vivo et investir un champ créatif que l’on ne nommait pas encore design culinaire.

Durant cette période, si j'ai pu mesurer l'intérêt précurseur et croissant des médias, j'ai aussi été frappé par la relative indifférence affichée par le monde de la cuisine. Modestement, une décennie plus tard, l'exposition Tool's Food s'assigne un objectif ambitieux : sensibiliser au design en général et par là même, au design culinaire, une nouvelle génération de chefs.

Parce qu'ils contingentent le plus souvent le design au décor d'une vaisselle ou d'un restaurant, je suis allé chercher volontairement les cuisiniers dans leur pré carré de procédés, de techniques et de cuissons. Jeunes, pas encore pervertis par la starification qui les guette, mais d’une assise professionnelle déjà impressionnante, à chacun, en fonction de sa cuisine, je suis venu proposer une piste radicalement innovante que j'avais déjà validée dans mon atelier. Rapidement passés au tamis de leur expertise, les « pourquoi pas » sont devenus des « pourquoi » puis des « comment » et enfin, des « voilà ! »… Malgré des emplois du temps peu propices à l'expérimentation, tous ont joué le jeu en laissant tomber le « je » pour le « nous ». Avec eux j'ai voulu partager leur avenir, apporter des réponses qui sont des questions, parler de l'industrie agro-alimentaire qu'ils côtoient tous plus ou moins, pour vivre... et qui seule, à condition qu'on la contrôle, permettra de rendre accessible la qualité. J’ai souhaité montrer les passerelles qui existent entre les différentes activités de création et dont la cuisine tarde à se rapprocher. J'ai plaidé la cause du respect de la création et de l'impérieuse nécessité de citer ses emprunts ou ses sources, de l’urgence à l’intégrer dans l'enseignement professionnel de la cuisine.

Dans un souci de design global, j'ai évidemment dessiné aussi des plats et des ustensiles en synergie avec leur recette et j'ai soigné le style parce qu'il peut être porteur de sens et de plaisir. J'ai asséné, en plaidant pour ma paroisse, qu'à deux on est plus fort, que le designer, quand il ne joue pas à l'artiste, le sait, mais que le cuisinier, quand il se dit chef, l'oublie parfois. Nous nous sommes écoutés, toujours, entendus, souvent, et accordés, finalement.

Reste que tout est encore à faire et si ça n’est pas ici, ce sera ailleurs, dans d'autres pays à l'histoire culinaire moins lourde à porter. Mais le mouvement est en marche et la jeune histoire du design montre que lorsque celui-ci investit un domaine, il n'est pas de retour en arrière possible…