Galette Bluetooth

culinaire

Après avoir poussé la cuisine dans ses retranchements technologiques, au pâtissier, qui se distingue du cuisinier par sa balance, d’en prendre le contre pied. Galette classique - feuilletage et frangipane - en apparence, mais innovante quand on croque dedans. Sa particularité tient dans la fève chimique plutôt que céramique. Une mini gélule au bleu de méthylène inoffensif à la santé mais au haut pouvoir de coloration. On l’ingère sans s’en rendre compte. En face, les autres n’ont pas de doute sur le roi à la langue couleur shroumpf...

Image mentale déroutante pour cette galette royale au sang bleu où l’on attend l’empreinte technique là où elle n’est pas. C’est bien du Bluetooth « conecting people » mais à prendre au sens propre ! Humour en clin d’œil au designer qui sait aussi s’exprimer dans la légèreté. Hommage final au partage qui sous-tend l’exposition Tool’s Food où le plat n’a de sens que dans une communauté de plaisir et de découvertes.

Projets issus de l'exposition Tool's Food - Paris, 2007


Stéphane Marchal

Recettes élaborées en collaboration

Stéphane Marchal est pâtissier boulanger à Nancy, comme l’a été son père avant lui. Officiant d’abord dans l’entreprise familiale, il s’installe à son compte il y a dix ans pour voler de ses propres ailes et créer. Sa rencontre avec Stéphane Bureaux date de 20 ans auparavant, du temps où les deux marmots gourmands décortiquaient déjà les grands classiques de la pâtisserie...

« Je sais assembler les saveurs, les matières, lui a su les dessiner et parce que l’on s’est côtoyé souvent, qu’il a passé du temps dans mon laboratoire, il sait comment la pâtisserie fonctionne. On commence à imaginer, lui parle de matières, moi de proportions, on dégrossit puis on travaille ensemble. On associe nos idées dans le seul objectif d’un produit comestible abouti. La routine me fatigue, moi j’avance avec des projets, des objectifs et là s’en sont de nouveaux à chaque fois. »


Tool's Food

Paris 2007

Je n'ai jamais été à l'aise avec les étiquettes ; le design culinaire c'est d'abord du design ! Une approche qui vise à décloisonner les savoirs et les savoir-faire, à tisser librement des rapprochements pour permettre des propositions pertinentes, c'est à dire sensées et singulières.

Car c'est bien de singularité dont il s'agit. A chacune de ses interventions, Ferran Adria cite volontiers son aîné Jacques Maximin : "créer n'est pas copier ". Et tous les chefs que j'ai pu rencontrer s'échinent, en tout cas le disent-ils, à exprimer leur personnalité, et donc leur différence, dans nos assiettes. Le design est là pour ça, le design sert à ça, on pourrait même dire qu'il a été inventé pour ça !

Le départ est donné en 1997 sur fond d’histoire d'amitié. Une rencontre d’enfance à Nancy avec Stéphane Marchal, devenu depuis pâtissier, pour qui j’ai dessiné l’architecture intérieure d'un premier magasin. De là, est née l’ envie de dépasser sa demande initiale en lui suggérant une approche plus globale, non seulement de son entreprise, de sa communication graphique, des vitrines mais aussi, un travail sur les produits eux-mêmes. De par son ouverture d'esprit, Stéphane Marchal a accepté le jeu d'emblée. Ainsi, et ce pendant dix ans, j'ai eu la chance de pouvoir tester mes idées in vivo et investir un champ créatif que l’on ne nommait pas encore design culinaire.

Durant cette période, si j'ai pu mesurer l'intérêt précurseur et croissant des médias, j'ai aussi été frappé par la relative indifférence affichée par le monde de la cuisine. Modestement, une décennie plus tard, l'exposition Tool's Food s'assigne un objectif ambitieux : sensibiliser au design en général et par là même, au design culinaire, une nouvelle génération de chefs.

Parce qu'ils contingentent le plus souvent le design au décor d'une vaisselle ou d'un restaurant, je suis allé chercher volontairement les cuisiniers dans leur pré carré de procédés, de techniques et de cuissons. Jeunes, pas encore pervertis par la starification qui les guette, mais d’une assise professionnelle déjà impressionnante, à chacun, en fonction de sa cuisine, je suis venu proposer une piste radicalement innovante que j'avais déjà validée dans mon atelier. Rapidement passés au tamis de leur expertise, les « pourquoi pas » sont devenus des « pourquoi » puis des « comment » et enfin, des « voilà ! »… Malgré des emplois du temps peu propices à l'expérimentation, tous ont joué le jeu en laissant tomber le « je » pour le « nous ». Avec eux j'ai voulu partager leur avenir, apporter des réponses qui sont des questions, parler de l'industrie agro-alimentaire qu'ils côtoient tous plus ou moins, pour vivre... et qui seule, à condition qu'on la contrôle, permettra de rendre accessible la qualité. J’ai souhaité montrer les passerelles qui existent entre les différentes activités de création et dont la cuisine tarde à se rapprocher. J'ai plaidé la cause du respect de la création et de l'impérieuse nécessité de citer ses emprunts ou ses sources, de l’urgence à l’intégrer dans l'enseignement professionnel de la cuisine.

Dans un souci de design global, j'ai évidemment dessiné aussi des plats et des ustensiles en synergie avec leur recette et j'ai soigné le style parce qu'il peut être porteur de sens et de plaisir. J'ai asséné, en plaidant pour ma paroisse, qu'à deux on est plus fort, que le designer, quand il ne joue pas à l'artiste, le sait, mais que le cuisinier, quand il se dit chef, l'oublie parfois. Nous nous sommes écoutés, toujours, entendus, souvent, et accordés, finalement.

Reste que tout est encore à faire et si ça n’est pas ici, ce sera ailleurs, dans d'autres pays à l'histoire culinaire moins lourde à porter. Mais le mouvement est en marche et la jeune histoire du design montre que lorsque celui-ci investit un domaine, il n'est pas de retour en arrière possible…