Barb ahlala

culinaire

Un produit ludique, emblème fugitif de souvenirs d’enfance : la barbapapa. Le process vise ici à contraindre l’élément vaporeux, temporiser le spontané, cristalliser la fragilité. Une fois fabriquée, la barbapapa introduite dans un moule chaud en élastomère épouse la forme imposée d’un bol. Soudé par la chaleur, le sucre protège la surface d’une peau finement caramélisée. Libre alors au cuisinier de vaporiser au chocolat l’élément qui, sous sa coque protectrice de l’humidité ambiante, conserve en son coeur, son effet cotonneux.

D’instinct, poussé par un chef très lolly-pop, il apparaissait tout naturel d’accompagner cette bonbonnière dérobée d’une ribambelle de sucreries. Puis comme un retour d’enfance de gamin colère et avide, casser la boîte pour y découvrir encore, la friandise cachée. Le jeu, invité d’une assiette ludique. Pousser le vice de grignoter son plat jusqu’à en croquer le bol. Faire disparaître le contenant frivole et du même coup, digérer dans une persistante gourmandise, l’artifice culinaire figé temporairement. Gloutonnerie du designer amuseur qui fige l’éphémère, contourne l’incontournable pour finir par faire apparaître, et disparaître aussitôt, comme à son initial, l’objet de ses fantasmes, et des nôtres.

Projets issus de l'exposition Tool's Food - Paris, 2007


Eric Guérin

Recettes élaborées en collaboration

La Tour d’Argent, Taillevent et puis la Mare aux Oiseaux en 2003 pour un esthète aussi volatile que ceux qu’il prépare au bouillon coco pruneaux et pommes caramel ou fumés à la tourbe. Eclectique cuisinier la tête dans les oiseaux, les mains au Japon, un pied dans la volière africaine et le tout pour un envol à la vie...

« L’idée du "quand il n’y en a plus, il y en a encore". Partir sur un plat d’un mix bonbons, les manger puis dans un esprit ludique et insatiable, casser, et manger, son jouet et en trouver encore, d’autres, des couleurs différentes, des textures inopinées, une nouvelle gourmandise. De la barbapapa conservée juste pour soi ! Des structures en opposition, sous une coque croquante quelque chose de très doux évocateur de souvenirs, de fête foraine... Un écart de plaisir. La petite cachette secrète qui donne la liberté pour aller au bout de sa gourmandise. Pour moi qui ai toujours des bonbons à portée de main, la folie des espouma aux crocodiles et des soufflés aux Tagada, c’est la transgression absolue ! »


Tool's Food

Paris 2007

Je n'ai jamais été à l'aise avec les étiquettes ; le design culinaire c'est d'abord du design ! Une approche qui vise à décloisonner les savoirs et les savoir-faire, à tisser librement des rapprochements pour permettre des propositions pertinentes, c'est à dire sensées et singulières.

Car c'est bien de singularité dont il s'agit. A chacune de ses interventions, Ferran Adria cite volontiers son aîné Jacques Maximin : "créer n'est pas copier ". Et tous les chefs que j'ai pu rencontrer s'échinent, en tout cas le disent-ils, à exprimer leur personnalité, et donc leur différence, dans nos assiettes. Le design est là pour ça, le design sert à ça, on pourrait même dire qu'il a été inventé pour ça !

Le départ est donné en 1997 sur fond d’histoire d'amitié. Une rencontre d’enfance à Nancy avec Stéphane Marchal, devenu depuis pâtissier, pour qui j’ai dessiné l’architecture intérieure d'un premier magasin. De là, est née l’ envie de dépasser sa demande initiale en lui suggérant une approche plus globale, non seulement de son entreprise, de sa communication graphique, des vitrines mais aussi, un travail sur les produits eux-mêmes. De par son ouverture d'esprit, Stéphane Marchal a accepté le jeu d'emblée. Ainsi, et ce pendant dix ans, j'ai eu la chance de pouvoir tester mes idées in vivo et investir un champ créatif que l’on ne nommait pas encore design culinaire.

Durant cette période, si j'ai pu mesurer l'intérêt précurseur et croissant des médias, j'ai aussi été frappé par la relative indifférence affichée par le monde de la cuisine. Modestement, une décennie plus tard, l'exposition Tool's Food s'assigne un objectif ambitieux : sensibiliser au design en général et par là même, au design culinaire, une nouvelle génération de chefs.

Parce qu'ils contingentent le plus souvent le design au décor d'une vaisselle ou d'un restaurant, je suis allé chercher volontairement les cuisiniers dans leur pré carré de procédés, de techniques et de cuissons. Jeunes, pas encore pervertis par la starification qui les guette, mais d’une assise professionnelle déjà impressionnante, à chacun, en fonction de sa cuisine, je suis venu proposer une piste radicalement innovante que j'avais déjà validée dans mon atelier. Rapidement passés au tamis de leur expertise, les « pourquoi pas » sont devenus des « pourquoi » puis des « comment » et enfin, des « voilà ! »… Malgré des emplois du temps peu propices à l'expérimentation, tous ont joué le jeu en laissant tomber le « je » pour le « nous ». Avec eux j'ai voulu partager leur avenir, apporter des réponses qui sont des questions, parler de l'industrie agro-alimentaire qu'ils côtoient tous plus ou moins, pour vivre... et qui seule, à condition qu'on la contrôle, permettra de rendre accessible la qualité. J’ai souhaité montrer les passerelles qui existent entre les différentes activités de création et dont la cuisine tarde à se rapprocher. J'ai plaidé la cause du respect de la création et de l'impérieuse nécessité de citer ses emprunts ou ses sources, de l’urgence à l’intégrer dans l'enseignement professionnel de la cuisine.

Dans un souci de design global, j'ai évidemment dessiné aussi des plats et des ustensiles en synergie avec leur recette et j'ai soigné le style parce qu'il peut être porteur de sens et de plaisir. J'ai asséné, en plaidant pour ma paroisse, qu'à deux on est plus fort, que le designer, quand il ne joue pas à l'artiste, le sait, mais que le cuisinier, quand il se dit chef, l'oublie parfois. Nous nous sommes écoutés, toujours, entendus, souvent, et accordés, finalement.

Reste que tout est encore à faire et si ça n’est pas ici, ce sera ailleurs, dans d'autres pays à l'histoire culinaire moins lourde à porter. Mais le mouvement est en marche et la jeune histoire du design montre que lorsque celui-ci investit un domaine, il n'est pas de retour en arrière possible…